L’ombre portée fut celle de mon père sur mon enfance, chape de plomb d’une personnalité aussi déliée intellectuellement qu’humainement pernicieuse. Mon jugement sur lui commença à se former par un ressenti instinctif dès mon plus jeune âge, mais ce fut à l’adolescence que je sus poser les mots justes sur mes sensations. Mon mépris à son encontre, forgé dans les affres de ma colère contenue tout au long de mes jeunes années, cédera plus tard la place à une hostilité assumée puis à une ostensible indifférence. Ces années perdues durant lesquelles il s’interposa entre les lumières de la vie et mon identité en construction, je les ai mises à profit avec opiniâtreté pour m’inventer tout seul dans les silences vagabonds de la lecture, du dessin et de l’écriture, dans l’observation des pathétiques gesticulations humaines et les heureuses rencontres de gens de bien comme des pépites éclairant mes chemins. Mon père n’aimait que lui. L’ayant compris très tôt je n’attendis jamais rien de sa part contrairement je crois à mes deux soeurs en quête légitime d’une impossible preuve, fût-elle posthume, d’un amour paternel imaginé. Toute sa vie fut une lutte sans merci au service de sa réputation, de sa réussite socio-économique, de ses intérêts et de son plaisir. Sa femme fut son esclave domestique, ses enfants des signes extérieurs d’accomplissement familial, scolaire et social, ses relations des marchepieds utiles à son ascension, et ceux qui s’imaginaient ses amis, de simples faire-valoir avant de terminer en paillassons. Ma prise de conscience sur la nature réelle de mon père émergea peu à peu de la contradiction évidente entre ce qu’il était et ce qu’il voulait paraître. A la maison, un petit chef blanc pétri de conventions bornées, dictateur de papier, d’une avarice maladive, comptable au centime près. A l’extérieur, un modèle de réussite professionnelle, familiale, sociale, un homme affable (en réalité aussi obséquieux avec les puissants que méprisant avec les gens modestes), et généreux (en réalité une ostentation calculée au plus juste pour obtenir en retour admiration ou soumission). J’ai grandi en cultivant une discrète mais féroce lucidité dans son ombre totalitaire, guidé par mille lucioles phosphorescentes qui illuminaient les chemins de ma pensée, convaincu au plus profond de moi que viendrait le jour de la vengeance. Elle sera sourde, construite, implacable, avec son point d’orgue quand l’âge et la maladie l’affecteront et que je retournerai contre lui l’arme de l’indifférence qu’il pratiqua sans scrupule toute sa vie. Quand viendra le temps des comptes et des bilans, quand il réalisera que l’urne funéraire glacée attend patiemment et inexorablement ses cendres encore fumantes, quel châtiment plus infernal que l’indifférence affichée de son seul fils ? Alors l’ombre portée s’inversera et emprisonnera en retour dans une nuit terrifiante et sans issue celui qui se croyait maître du monde et n’était au final que seul au monde. Que le linceul opaque de l’ombre portée enfouisse à tout jamais dans les ténèbres la noirceur de son âme, s’il en eut.
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